dimanche, novembre 9, 2025
Pancarte du site administratif du PNKB à Tshivanga
Environnement

RDC : La survie du Parc National de Kahuzi Biega à l’épreuve de la guerre

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Depuis plus de 3 décennies, l’Est de la République Démocratique du Congo est confronté à la guerre. Cette guerre est considérée comme l’une des plus meurtrières en Afrique après la deuxième guerre mondiale à en croire les rapports des experts des Nations Unies appuyés par plusieurs organisations internationales dont Amnisty International et Human Rights Watch.

En plus de millions de personnes tuées par balles, l’on en compte de milliers d’autres qui sont mortes à la suite des conséquences induites par cette guerre comme la famine, les déplacements forcés et les maladies.

Le combat en cours au niveau du gouvernement central reste celui de convaincre l’ensemble des nations du monde qu’en République Démocratique du Congo il y a effectivement eu un génocide et continue d’ailleurs à se perpétrer avec l’appui de plusieurs pays voisins, en l’occurrence le Rwanda et l’Ouganda.

Ce combat longtemps porté par le Prix Nobel de la Paix 2018, le Docteur Dénis Mukwege et plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, est aujourd’hui porté par les autorités qui s’emploient par différents mécanismes pour obtenir une reconnaissance internationale.

Pour étayer les arguments, un terme a été adopté. C’est le GENOCOST Congolais qui est présenté comme « Génocide du Peuple Congolais pour des Intérêts Economiques ». Pour couronner la lutte au niveau national, une journée du « GENOCOST Congolais » a même été instaurée. Elle est désormais célébrée chaque année le 2 aout, occasion pour faire entendre les voix des milliers de victimes de cette guerre injuste imposée aux congolais.

Dans le présent article, nous allons démontrer comment la poursuite de ces intérêts économiques impacte sur l’environnement, particulièrement celui du Parc National de Kahuzi-Biega et ses environs, les différents acteurs, la chaîne d’approvisionnement, parler des financements sur la restauration des terres dégradées et les solutions possibles.

La méthodologie repose essentiellement sur les interviews avec des personnes clefs, la documentation et l’observation dans un contexte sécuritaire délétère ou une portion du territoire national est occupée par les rebelles de l’Alliance Fleuve Congo AFC/M23. La durée de cette publication s’étend sur une période allant de  2024 à octobre 2025 mais avec un aperçu sur la période d’avant.

Les intérêts économiques à enjeux environnementaux

Lemera, est des points de transit des planches venant du parc

La poursuite des intérêts économiques en République Démocratique du Congo semble légitime au regard de l’immensité des richesses dont dispose ce Pays non seulement en ce qui est des réserves mondiales des substances minérales mais aussi en terme d’ eau et  des forêts immenses .

Dans la province du Sud-Kivu, l’une des 26 provinces de la République Démocratique du Congo où habitent environs 6 millions d’habitants, composée des 8 territoires et frontalière au Rwanda et au Burundi, ces richesses sont localisées dans plusieurs territoires parmi lesquels on retrouve une bonne partie des terres qui constituent l’actuel Parc National de Kahuzi-Biega, un patrimoine mondial de l’humanité.

L’histoire renseigne qu’en 1975, le PNKB avait obtenu son extension à 60000 hectares c’est seulement en 1980 qu’il sera déclaré patrimoine mondial de l’UNESCO. En 1997, alors que la guerre prenait un pic alarmant avec notamment l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo et le Rassemblement Congolais pour la Démocratie, ce site devient patrimoine mondial en péril.

Avec ces hectares de terre, le Parc National de Kahuzi-Biega regorge des espèces animales comme les gorilles de Grauer et végétales très rares au monde ainsi que des réserves en minerais de 3T et de l’or.

Plusieurs années après, quelques efforts ont été entrepris pour optimiser la conservation et même la restauration de son écosystème mais sans aboutir à des résultats tangibles, ce qui a fait que le parc est demeuré sous ce statut de patrimoine mondial en péril.

Dans son ouvrage publié en 2021 aux éditions d’en bas avec comme titre « Vivre et survivre en RDC », le suisse Carlos Schuler raconte l’histoire d’une période très sombre au cours de la quelle la guerre va faire subir de grosses pertes au Parc National de Kahuzi-Biega. L’auteur parle d’un réseau des trafiquants des animaux du PNKB vers les pays voisins principalement le Rwanda et un autre réseau qui sera fortement impliqué dans l’exploitation des minerais.

Malgré le contexte délétère sur le plan sécuritaire, il raconte également un modèle de résilience qui a permis de garder plus ou moins quelques efforts de conservation. En clair, de 1991 à ce jour, la survie du Parc National de Kahuzi-Biega fait face à l’épreuve de la guerre et les pratiques diffèrent des périodes.

Depuis 2024 avec l’intensification des combats entre les rebelles de l’AFC/M23 appuyés par le Rwanda, selon plusieurs rapports des experts des Nations Unies, et la coalition gouvernementale de Kinshasa composée des Forces Armées de la RDC appuyée par l’armée burundaise, les Volontaires pour la Défense de la Patrie VDP et d’autres forces comme celles de la Communauté des Etats d’Afrique Australe, SADC, la situation a pris un tournant plutôt décisif pour ce qui du Parc National de Kahuzi-Biega.

Des communautés impliquées dans la destruction du PNKB

En effet, plusieurs groupes armés actifs et inactifs ont repris les hostilités d’abord dans les hauts plateaux de Kalehe aux alentours du Parc National de Kahuzi-Biega puis dans le territoire de Kabare. Les activités de conservation ont été sérieusement compromises car les éco-gardes ont été chassés de plusieurs zones avant même l’entrée de la rébellion dans cette partie du territoire national de la RDC.

« Nous avions la mission de combattre tous les braconniers et autres exploitants illicites des ressources du Parc. Nous avions tous les moyens mais face à la complexité de la zone et le contexte sécuritaire devenant de plus en plus dangereux, nous avons été obligés de lâcher »,

indique Budaga (nom d’emprunt), un éco garde reconnu par l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature ICCN.

« À l’approche de la guerre, j’ai vu des civils porter des armes. Même des gens avec je travaillais et d’autres qui se sont présentées comme étant de la communauté autochtones pygmées ont dû prendre les armes. Ils ont chassé des éco gardes pour prendre le contrôle des hectares de terres appartenant au Parc National de Kahuzi-Biega »,

témoigne Théophile, un gestionnaire d’une concession proche du Parc National de Kahuzi-Biega au niveau de Bogamanda dans le territoire de Kalehe à quelques 75 km au nord de la ville de Bukavu.

« Nous avons vu des cohortes des personnes qui sont d’abord arrivées se présentant comme des déplacés de guerre. En tout cas, c’étaient des gens de la communauté Hutu rwandophones mais qui, quelques jours plus tard, ont été vus avec des armes occupant de bonnes parties du PNKB d’abord à Kalehe puis à Kabare »,

explique pour sa part un défenseur des droits humains dans le territoire de Kabare.

S’enrichir au détriment de la nature

Ces témoignages, du reste, corroborés par tant d’autres et certaines autorités locales qui ont préféré requérir l’anonymat, démontrent la complexité de l’action de conservation et prouvent que la guerre semble être un moment favorable pour les uns et les autres de s’enrichir quel qu’en soit le prix sur la vie des humains, des espèces rares protégées ou plus spécifiquement du Parc National de Kahuzi-Biega.

Il s’agit donc d’un moment pour tirer les intérêts économiques de ce patrimoine mondial de l’humanité quelles que soient les conséquences que cela pourrait avoir sur sa conservation.

Après la prise d’armes et le contrôle des vastes étendues de terre, ces groupes armés occasionnels et permanents ont tissé des liens avec les civils nationaux comme étrangers pour l’exploitation, le transport et la commercialisation des produits issus du Parc National de Kahuzi-Biega.

Traquer les transporteurs des produits ligneux issus du PNKB

Avant l’entrée des rebelles dans la province du Sud-Kivu et ayant perdu le contrôle d’une bonne partie de son espace, l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature, ICCN a débuté une traque contre tous les transporteurs rencontrés sur la route entre le PNKB et la ville de Bukavu ou encore sur le Lac-Kivu et d’autres entités.

« Cette traque visait à décourager la coupe illicite d’arbres et l’exploitation du charbon de bois dans la Parc mais la pratique n’a obtenu que de maigres résultats », témoigne IRAGI, un transporteur de l’axe Kalehe-Bukavu qui ajoute « en tant que transporteurs, nous n’avons jamais été dans le Parc pour exploiter ces arbres ou ce charbon de bois. Nous ne sommes que des transporteurs. Les propriétaires nous indiquent là où récupérer la marchandise et où la déposer. Je ne pense pas que le fait de nous traquer constitue une manière efficace de lutter contre la destruction du Parc ».

La société civile en alerte

Dans le même sens, des alertes des organisations de la société civile dans la province du Sud-Kivu faisaient déjà état de la présence des combattants armés dans le Parc National de Kahuzi-Biega qui travaillaient au nom et pour le compte d’un réseau d’opérateurs économiques de la région. La mission était de protéger ces opérateurs économiques dans leurs activités d’exploitation des substances minérales dans ce patrimoine mondial de l’humanité.

Le boom immobilier dans la ville de Bukavu ces deux dernières décennies aurait comme origine l’exploitation de ces substances minérales dans le Parc National de Kahuzi-Biega, analysent certains acteurs de la société civile qui indiquent que les propriétaires de grandes bâtisses dans la ville de Bukavu évoluent dans le secteur minier pour la plupart et d’autres en politique mais les liens entre eux sont suffisamment établis. En effet, le deuxième disposant de son pouvoir et son influence assure au premier la protection nécessaire. (nous y reviendrons avec amples détails dans la partie sur les acteurs et la chaine d’approvisionnement).

Dans un  rapport publié en Avril 2024 par le Groupe Thématique Mines et Hydrocarbures du Bureau de Coordination de la Société Civile du Sud-Kivu à travers ses deux organisations  membres, à savoir la Synergie des organisations de la Société Civile pour la promotion des Droits humains et de l’environnement SYDHE Asbl et l’Institut pour la Gouvernance et l’Education Electorale IGE Asbl, il est démontré clairement que l’exploitation de l’or, des minerais de 3T, la coupe illicite d’arbres et la carbonisation se poursuivaient, avec aise, dans et autour du Parc National de Kahuzi-Biega.

L’étude qui a porté sur l’ensemble du territoire de Kalehe mais avec un focus sur Lemera et Katasomwa, deux villages du groupement de Mubugu, proches du PNKB fait état d’au moins 15 sites où l’on exploite les minerais en plein cœur du Parc National de Kahuzi-Biega. Il s’agit de Cimoto, Nyamweza, Binhuire, Kamano, Bifukulanyenje, Biyujuire, Bikengekenge, Kamato, Kakongolo, Cifukulabiyeje, Bireto, Bwangola, Kitendewa, Lungufa et Bibogobogo.

« Les braises et les planches sont exploitées à grande échelle dans le PNKB. Notre interlocuteur a signalé la présence de plus ou moins 30 tronçonneuses qui passent par le centre vers le parc. Cet acteur a précisé que chaque mois plus ou moins 1500 arbres sont abattus et sciés en planches embarqués dans des véhicules privés, soit transportés sur la tête pour être entreposés à Kitoki centre et évacués par bateau vers le Nord Kivu ou soit par véhicule vers la ville de Bukavu. Il s’observe que les motos qui viennent avec des passagers à Katasomwa repartent avec une charge de trois sacs de braises chacune. Plus ou moins 80 motos débarquent par jour dans le centre Katasomwa et font ces mouvements de transport des sacs de braise entreposés à Kabamba dont une partie part pour la ville de Bukavu et une autre entreposée à Kasheke est évacuée par bateau vers la ville de Goma. Dans un calcul simple 80 moto x 3 sacs donnent un total de 240 sacs par jours. Si l’on multiplie par 30 jours cela donne un total de plus ou moins 7200 sacs par mois »,

peut-on lire dans ce rapport au sujet précis de l’exploitation forestière dans la zone.

A ce rapport, l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature répondra

« Bien que nous ne puissions pas confirmer les chiffres et certains faits avancés par la SYDHE, le Parc est conscient de l’étendue des dommages causés par ces activités illicites. Les résultats préliminaires des études de bio-monitoring menées par les équipes du Parc révèlent une accélération considérable de la déforestation sur les axes cités par SYDHE depuis 2000. La période de 2019 à 2023 constitue le pic de la déforestation, avec un taux en constante augmentation.

Dans sa réponse, l’ICCN reconnaît qu’il n’exerce aucun contrôle effectif sur une bonne partie du Parc National de Kahuzi-Biega, ce qui rend l’action de conservation inefficace mais rassure que les efforts sont fournis pour y remédier.

« Ces zones sont occupées par des personnes armées ou protégées par des groupes armés qui y pratiquent la carbonisation, la coupe de bois d’œuvre et l’exploitation minière illégale à grande échelle. Le Parc et ses partenaires locaux, nationaux et internationaux, entreprennent plusieurs actions auprès des autorités locales, provinciales et nationales afin de mettre en place des mesures adaptées et durables pour neutraliser ces personnes qui détruisent le Parc. Parallèlement, le Parc mène aussi des campagnes de sensibilisation auprès des communautés riveraines pour les conscientiser sur l’importance de préserver cette richesse naturelle pour le bien-être de tous et pour les générations futures »

 a écrit Dr Arthur Kalonji Mulamayi, directeur du Parc National de Kahuzi-Biega.

Un bébé gorille échappe de justesse au braconnage

Un peu plus tard en juin 2024, ce sera le tour de la Société Civile Environnementale et Agro-Rurale du Congo SOCEARUCO en sigle qui va alerter sur les tentatives de capture d’un bébé Gorille dans cette réserve mondiale. Dans cette alerte, cette structure faisait observer qu’une bonne partie du Parc échappait déjà au contrôle de ses gestionnaires, ce qui donnait libre cours à des réseaux des braconniers qui pouvaient aller jusqu’à créer un réseau pour le trafic des gorilles qu’il regorge. La Société Civile Environnementale et Agro Rurale du Congo est allée plus loin en qualifiant ce qui se passait dans le PNKB de « écocide », une façon d’ouvrir la problématique à plus d’attention du monde extérieur.

À cette sortie de la SOCEARUCO, le PNKB a réagi d’un ton ferme indiquant que la publication était erronée. Mais, tant les jours avancent, tant des évidences se confirment.

Le PNKB, un butin de guerre

Avec l’arrivée de la guerre dans la province du Sud-Kivu, la situation a pris une tournure particulière. Les rebelles de l’AFC/M23 ont pris le contrôle d’une bonne partie des territoires de Kalehe et Kabare plus particulièrement les villages aux alentours du Parc National de Kahuzi-Biega alors que d’autres groupes armés continuaient à contrôler une autre partie.

Des témoignages concordants indiquent qu’autant pour les rebelles occupant la province que pour ces autres groupes armés, les ressources du Parc étaient devenues la marchandise facile à trouver et facile à vendre pour obtenir de quoi survivre ou alors constituer une certaine fortune. Le Parc National de Kahuzi-Biega est donc considéré comme un butin de guerre.

Dans ce patrimoine mondial de l’humanité comme dans des concessions environnantes, une activité intense d’exploitation a été rapportée au point de susciter la colère des défenseurs des droits humains et des activistes environnementaux.

Sous le sceau de l’anonymat par crainte des représailles dans une région où les armes sont détenues illégalement par des civils non contrôlés, ces activistes ont dénoncé ces pratiques interpellant ainsi les autorités qui venaient d’être installées par la rébellion dans la ville de Bukavu.

Ces dénonciations ont été largement relayés dans des médias locaux et nationaux jusqu’à susciter finalement l’attention des autorités en place. Dans le groupement de Miti par exemple, l’une des entités du territoire de Kabare, le chef Chirimwami Kwigomba Mambe a pris une série de mesures notamment des communiqués pour interpeller la population de sa juridiction.

Ensuite ce sera le vice-gouverneur en charge des questions politiques et administratives installé Dunia Bwenge Doux qui prendra d’autres mesures pour interdire ces pratiques indiquant que tout celui qui serait trempé dans cette pratique devrait subir la rigueur de la loi.

Des défenseurs de l’environnement lassés et insécurisés

Des semaines plus tard, aucun impact ne sera remarqué sur le terrain. Visiblement fatigués de dénoncer et craignant toujours pour leur sécurité dans une zone sous contrôle des rebelles, les défenseurs des droits humains et des activistes environnementaux vont alors se limiter au travail de documentation, nombreux d’entre eux ayant d’ailleurs quitté la zone pour des raisons sécuritaires, a indiqué l’un deux sous le sceau de l’anonymat.

« Nous n’avons aucune garantie de sécurité. Même vous en tant que média, même si nous vous partageons nos alertes, personne ne vous sécurise et nous avons l’impression que la rébellion tout comme au niveau de Kinshasa on s’en fou car on a longtemps alerté mais la situation ne fait que s’aggraver. Nous allons perdre ce Parc »,

a-t-il déclaré sous un ton de la déception.

Nous allons perdre ce parc

Depuis le début de ces activités d’exploitation illicite dans le Parc National de Kahuzi-Biega, plusieurs hectares ont déjà été dévastés et plusieurs collines sont désormais nues dans ses alentours. Ces activités se poursuivent et aucune action ne semble être entreprise pour stopper la pratique, alertent les défenseurs des droits humains et des activistes environnementaux.

« cher Etienne, vous avez été avec nous dans les plantations vers Bogamanda là-bas et aux alentours ; pensez-vous que ce Parc va vraiment survivre ? C’est plusieurs Km2 qui sont déjà déboisés dans le PNKB seulement de ce côté ici et en moins de 5 mois. Ce n’est qu’une estimation mais c’est vraiment plus de 50Km2 »,

déclare Théophile, gestionnaire d’une plantation à Bogamanda dans le territoire de Kalehe.

Et d’ajouter,

« en réalité, les activités de conservation n’existent plus. L’exploitation se poursuit à grande échelle. Il y a des centaines tronçonneuses qui sont très actives ici. Plus de cinq collines sont déjà déboisées ici et ce sont les éléments de l’AFC/M23 qui contrôlent la partie. Les produits ligneux sont transportés chaque jour et c’est déplorable ».

Les concessions des privés ont été aussi fortement affectées, déclare Innocent, un agronome dans la zone.

« Personnellement je suis agronome dans une concession d’un privé proche du Parc. On avait déjà initié une forêt primaire qu’on conservait dans la perspective de solliciter le crédit carbone mais les éléments de l’AFC/M23 s’y sont introduits. Ils ont coupé les arbres et les ont vendus à des exploitants. Même les espèces rares et spéciales comme glandi flora, rien ne leur échappait. Ils vendaient un arbre même à 50.000Fc (un peu moins de 20 dollars américains). Il a fallu négocier avec eux pour qu’ils arrêtent mais un peu partout ailleurs, ils n’ont besoin d’aucune autorisation pour couper un arbre » ¸indique-t-il.

Nous n’avons que les yeux pour pleurer

Dans le groupement d’Irhambi-Katana, une autre entité du territoire de Kabare, à environs 45Km au Nord de la ville de Bukavu, il s’agit de trois villages qui sont particulièrement concernés par cette exploitation dans et autour du PNKB.

Tout a commencé avec la partie plus accessible du Parc dans le village de Mabingu où plusieurs hectares ont été dévastés. S’en est suivie la partie située dans le village de Kabushwa pour atteindre Kahungu avec un risque d’arriver au site de Tshivanga, non loin des bureaux de l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature.

« De Kalehe à Katana-Kabare, comprenez que la situation est plutôt très grave. On peut avoir au moins 20 tronçonneuses actives chaque jour sur cette partie. Or chaque tronçonneuse peut abattre au moins 5 arbres par jour. Par jour, il y a au moins 3 à 4 camions qui font des tours pour transporter des produits lignés. Nous n’avons que les yeux pour pleurer et se poser des questions sur le rôle de l’UNESCO »,

déclare un acteur de la société civile dans le territoire de Kabare.

Des gorilles en danger

Entre temps, depuis l’occupation des rebelles, les activités de conservation voire de suivi des gorilles sont à l’arrêt, confirme un éco garde sous le sceau de l’anonymat. A ce jour, le site de Tshivanga est occupé par l’AFC/M23 qui, à leur arrivée ont obligés ceux-ci à déposer leurs armes et à vider le camp. Ainsi, les familles des gorilles sont sans suivi, aucune patrouille n’est organisée, ce qui laisse place à la déforestation, la carbonisation et bien d’autres activités illicites.

Du côté de l’AFC/M23, l’on affirme que des efforts sont fournis mais les défis persistent au regard de la multiplicité des groupes armés qui pullulent dans la région et le fait que le pouvoir de Kinshasa a choisi d’armer des civils sans formation. Impayés, ce sont les populations ainsi la faune et la flore du Parc National de Kahuzi-Biega qui en paient le prix, ajoute un responsable d’une des entités sous l’administration du mouvement rebelle.

Les phrases précédentes illustrent à une échelle non considérables la vérité contenue dans le terme GENOCOST. D’autres vont jusqu’à parler d’un écocide en cours pour des intérêts économiques. En effet, même en temps jugé de paix où le gouvernement légitime de Kinshasa avait le contrôle du Parc National de Kahuzi-Biega, certains acteurs politiques et même des forces de sécurité ayant des liens solides avec des opérateurs économiques entretenaient des hommes armés pour avoir accès aux ressources de ce patrimoine mondial de l’humanité.

Le niveau de traçabilité de ces ressources en démontre un peu plus et nous aurons le temps d’en parler en long et en large dans la partie sur les acteurs ainsi que la chaine d’approvisionnement. En effet, si ces ressources sont exploitées, l’Etat n’en profite presque pas et moins encore les communautés locales dont la pauvreté est d’ailleurs paupérisée pour qu’elle demeure un élément à utiliser pour y avoir un accès beaucoup plus facile.

Il ressort de l’étude réalisée par le Groupe Thématique Mines et Hydrocarbures de la Société Civile que même si les minerais sont tagués et semblent suivre la chaine de traçabilité, une importante partie échappe toujours au contrôle officiel et la mafia est organisée par des acteurs bien identifiés et hautement placés.

Des concessions vendues dans le parc

Au sujet de l’occupation des terres, il ressort des témoignages concordants et constats de terrain que du côté du territoire de Kalehe, par exemple, des peuples autochtones pygmées ont continué à prendre de grandes étendues qu’ils ont même vendues à de grands concessionnaires dont la plupart proviennent de la province du Nord-Kivu.

« … plusieurs parcelles sont déjà vendues au sein du Parc. Plusieurs particuliers, j’ose le confirmer, disposent déjà des documents qui leur accordent la propriété sur de vastes étendues de terre. Certes, l’Etat a le monopole mais je ne sais pas comment il va s’y prendre pour récupérer les terres déjà vendues. À côté de notre plantation, il y avait des éco-gardes qui ont été chassés par les peuples autochtones et d’autres groupes armés… ils ont alors profité de l’occasion pour pénétrer le PNKB et même vendre les terres à des commerçants qui ont commencé à ériger des pâturages pour leurs troupeaux. Je trouve que c’est dangereux »,

alerte M. Antoine K., un autre gestionnaire d’une plantation autour du Parc National de Kahuzi-Biega.

Et d’ajouter:

« vous parlez des intérêts économiques ? Oui, je le confirme. Tout le monde est prêt à tuer, à détruire et tout ce qui va avec pourvu qu’il atteigne son objectif. Et cet objectif n’est rien d’autre qu’avoir de l’argent. Ce parc ne compte pour personne. Depuis 3 ans, je travaille ici et je n’ai pas vu une seule personne qui est vraiment soucieuse de sa conservation dans ses limites d’origine. J’ai vu oui quelques efforts fournis par certaines autorités de l’ICCN, mais cela est vraiment minime par rapport à ce qu’exigent sa conservation et sa protection. J’encourage les efforts des organisations internationales qui essaient de financer les efforts de conservation et de restauration mais cela reste insuffisant ».

Une chaine d’acteurs pour un enrichissement asymétrique

Vue du Mont Kahuzi

Dans cette chaine, les acteurs sont multiples. Nombreux ne sont que des leviers pour servir ceux qui agissent dans le noir.

Ceux agissant dans le noir sont souvent des personnalités hautement placées au sein des Forces Armées de la République Démocratique du Congo, la Police Nationale Congolaise, les Services des Renseignements, les services étatiques chargés de faire le suivi des activités minières et/ou forestières ainsi que les acteurs politiques hautement placés au sein des institutions qui connectent leurs familles dans une mafia généralisée.

Les deux guerres de la RD. Congo en 1996 et 1998, et l’insécurité consécutive due la présence de groupes armés incontrôlés ont coûté des vies humaines à des millions des personnes et entraîné des déplacements massifs de la population civile fuyant les hostilités.

Cette situation a eu comme conséquences la destruction des tissus économiques et sociaux et la perte des économies locales. La situation sécuritaire actuelle a créé des conditions plus difficiles à la reprise de la vie normale à l’Est de la RD. Congo et plus particulièrement dans les territoires de Kalehe et de Kabare.

Conservation policière vecteur des conflits

Les méthodes employées par les Etats pour créer les aires protégées ont traumatisé certaines populations et aujourd’hui, de manière générale, les relations demeurent conflictuelles entre les populations riveraines des aires protégées et leur autorité de gestion. Dans le même sens, les méthodes de conservation ont été conçues en excluant l’homme pourtant les dynamiques sont évolutives et tout devrait être pensé en incluant les facteurs qui incitent l’homme à s’attaquer à la nature.

Parmi les acteurs qui agissent dans le noir figurent les peuples autochtones pygmées qui, depuis des lustres, se proclament premiers occupants du Congo et qui n’hésitent pas à clamer haut et fort que le PNKB leur appartient.

Chassés de cette aire protégée, ces derniers ne sont pas partis loin mais se sont installés dans des villages aux alentours, eux qui font observer qu’ils ne peuvent jamais survivre sans la chasse et la cueillette.

Les dernières années, l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature ICCN avec l’appui de ses partenaires a mis en place des programmes pour assurer leur réinsertion au sein des communautés afin de les faire participer activement à la conservation mais le grand travail demeure au niveau mental.

Pour plusieurs analystes environnementaux, les peuples autochtones n’ont pas vraiment participé à la conservation du PNKB mais ont plutôt accéléré sa destruction.

« … avant la prise de la ville de Bukavu par l’AFC/M23, j’ai vu les peuples autochtones divisés. Certains d’entre eux, malheureusement très moins nombreux, étaient très actifs pour appuyer les autorités de l’ICCN dans la philosophie de conservation mais d’autres étaient très hostiles. Ils ont même coalisé avec ceux qui avaient des armes pour chasser tout celui qui pouvaient les empêcher de jouir des richesses du PNKB. Malheureusement, ils le font au profit d’autres personnes qui partent s’enrichir dans de grandes villes mais eux restent au niveau rudimentaire… »,

commente Marlène M, habitante d’une zone proche du PNKB et experte en développement rural.

Et de poursuivre:

« … vous posez la question sur les acteurs ? Comprenez qu’en réalité ceux qui exploitent ce Parc sont nombreux mais à de niveaux différents. Mais ce qui est mal, c’est que leurs préposés à savoir les villageois ici ne comprennent pas. Il suffit que quelqu’un vienne avec de petits billets de dollars et cela suffit pour qu’un villageois ou un autochtone pygmée accepte de lui céder de grosses étendues de terre dont il n’a même de titre de propriété. D’autres acceptent même d’éliminer tout obstacle devant eux pour satisfaire leurs clients qui sollicitent des ressources au sein de ce Parc ».

« Les autochtones pygmées limitaient essentiellement leur action aux petits mammifères sauvages et la recherche des bois de chauffe mais après, les choses ont changé. Ils ont commencé à avoir d’autres ambitions et je crois c’est à cause de la présence d’autres personnes qui étaient à la recherche des substances minérales »,

indique, pour sa part un acteur de la société civile dans la chefferie de Buloho en territoire de Kalehe.

Des faux réfugiés

D’autres acteurs sont les hutus congolais d’expression rwandaise qui sont venus des hauts plateaux de Kalehe et même d’autres zones du Nord-Kivu comme Masisi et Rutshuru.

« … tous les sites sont occupés par les hutus. Ils sont majoritaires et ce sont eux qui possèdent les tronçonneuses un peu partout. Ce sont eux qui ont le plus d’argent et leurs patrons ce sont leurs frères et sœurs suffisamment riches et qui sont installés dans les villes de Bukavu, Goma et même Kigali. Je ne peux pas dire qu’il y a des bantous qui font la même chose. S’ils existent, c’est juste pour la survie mais en tout cas pour ce qui est des hutus, c’est toute une profession. On dirait un plan bien conçu. Certains sont venus avant la guerre et lorsque la guerre a atteint le Sud-Kivu, les activités ont pris une tournure encore plus forte. Ils arrivaient de Masisi et Rutshuru comme des déplacés mais après, on a senti que le souci était autre ; l’exploitation à grande échelle des ressources du Parc… en plus des tronçonneuses, d’autres s’occupent des questions minières »,

ajoute Enock, un défenseur des droits humains dans la zone.

Celui-ci ajoute que la plupart de ces hutus congolais d’expression rwandaise ont d’abord noué des relations avec les peuples autochtones avant de les chasser.

« Personne ne pensait que cela pourrait arriver. Avant la guerre, ces déplacés étaient venus non violents mais quelques mois plus tard, ils se sont retournés contre leurs hôtes. Ils se sont ralliés aux rebelles et l’AFC/M23 et ont commencé à considérer les autochtones comme leurs ennemis, plus précisément comme les Wazalendo, ces milices armés alliés aux Forces Armées de la RDC pour repousser la rébellion. Aujourd’hui, les Wazalendo ont été neutralisés. Ils se sont rendus dans les profondeurs du Parc tandis que les rebelles et leurs alliés ont occupé toute la lisière et ont les possibilités d’exploiter et acheminer leurs produits sans beaucoup de difficultés »,

renchérit Innocent, également défenseur des droits humains et acteur de la société civile.

Dans son ouvrage cité ci-haut, Carlos Schuler n’hésite pas à affirmer que

« une certaine complicité semble s’être créée entre les anciens génocidaires et la nouvelle armée rwandaise ».

Ces propos confirment les témoignages de plusieurs personnes qui indiquent que des liens entre des hutus arrivés comme réfugiés en RDC avec des opérateurs économiques congolais et rwandais mais aussi avec d’autres groupes armés.

Pauvreté, un moyen de manipulation des communautés

Parmi les aspects cruciaux qui poussent les communautés à envahir le parc ce sont les difficultés économiques auxquelles sont confrontées les communautés environnant le PNKB. Le manque d’opportunités d’emploi et de sources de revenus alternatives dans ces milieux pousse les riverains à faire pression sur les ressources du PNKB, notamment les « arbres ».

Les difficultés rencontrées par les autorités congolaises à fournir les terres promises aux Peuples Autochtones Pygmées en dehors du Parc, comme stipulé dans la feuille de route de Bukavu de 2019, se sont aussi ajoutées à la frustration, ont confié les chefs et leaders locaux dans la zone.

Ce motif est alors exploité par des opérateurs économiques, des personnalités hautement placées dans les institutions ainsi des officiers dans les forces de défense et de sécurité.

« J’estime que c’est la frustration née du fait que les pygmées ont été chassés du PNKB sans une autre alternative qui a fait que la situation dégénère. Les pygmées avaient besoin de protection face aux autorités de l’ICCN qui les pourchassaient. Alors, d’autres en ont profité à l’instar de ces hutus congolais d’expression rwandaise », poursuit Innocent.

Ces acteurs sont majeurs dans la destruction du Parc, explique Biryondeke Alfonse, un des exploitants forestiers qui situe à plusieurs niveaux la complicité dans les actions de destruction du PNKB.

« Ils se réclament propriétaires du PNKB et je crois que c’est à ce titre qu’ils se croient permis de tout faire. Les autorités de l’ICCN doivent trouver des solutions appropriées pour désintéresser ces personnes. Au fil du temps, ce sera très difficile de gérer les conflits avec les concessionnaires autour du Parc », indique-t-il.

Et de poursuivre :

« … malheureusement, ils sont restés les mêmes au niveau très rudimentaire. Ils n’ont pas vraiment évolué. Ils reçoivent les miettes de leurs manipulateurs. En tout cas, je peux parier sur le fait que le plus grand nombre d’enfants des peuples autochtones qui ont étudié ont bénéficié des appuis des partenaires au développement. N’eussent été ceux-là, on aurait aucun enfant des peuples autochtones diplômé. Alors on se pose la question, à quoi sert l’argent qu’on leur donne pour exploiter les ressources du Parc. Presque tous vivent toujours dans des cabanes souvent aussi construites avec l’appui des partenaires. Alors, cela nous pousse à conclure qu’ils sont simplement utilisés par d’autres personnes pour raison d’enrichissement ».

« L’exploitation des minerais d’or et de la cassitérite, du Coltan, la coupe des bois pour la production des braises et des planches qui se fait à grande échelle dans le PNKB, c’est sous la bénédiction des peuples autochtones pygmées qui font appel à des personnes venant de Masisi au Nord Kivu, Minova, Bukavu et Gisenyi au Rwanda. Ces exploitations sont plus faites dans les endroits ci-après : Cimodo, Nyaweza, Binjwiri, Kamano, Bifukula, Nyenje et Lemera »,

a expliqué le chef de centre de Lemera Bisimwa Bugamba Questeur.

D’autres personnes impliquées dans cette exploitation ce sont des groupes armés se proclamant Wazalendo (milices d’autodéfense locale) parmi lesquelles les hutus congolais et d’autres tribus locales.

La convoitise des ressources du Parc National de Kahuzi-Biega habite plusieurs esprits. Ceci amène à s’interroger sur qui profite de cette exploitation. Dans le désordre sécuritaire, l’incapacité de l’État congolais à assurer le contrôle effectif sur le territoire national et l’inefficacité des services étatiques, la ruée vers l’exploitation de ces ressources devient le moyen le plus facile pour se faire de l’argent.

«… nous observons les maisons naître à Bukavu et à Goma, voire dans plusieurs autres villes. Ne croyez pas que cette richesse vient essentiellement du formel. Moi, je dis et confirme que cela vient de la mafia, particulièrement de l’exploitation des ressources de ce bijou qui est le Parc National de Kahuzi-Biega. Ces ressources construisent les villes. Et donc on peut dire que la construction des villes occasionne la destruction de notre environnement et plus particulièrement le PNKB. Malheureusement, les acteurs directs restent pauvres et les communautés riveraines sont dans la misère »,

déplore Eric Mikalano, expert en gouvernance minière et acteur de la société civile dans la province du Sud-Kivu.

Il faut pourtant noter que cette exploitation n’a pas apporté de grands changements dans le vécu quotidien de ces communautés. Elles sont restées dans une vie misérable. Les fonds récoltés grâce à cette exploitation des ressources du Parc servent uniquement à couvrir de petits besoins de base à l’instar de la scolarisation des enfants et de l’alimentation.

« … cela témoigne d’une sorte d’esclavage auquel sont soumises les communautés vivant autour du PNKB. Elles vivent un présent qui n’assure aucun lendemain meilleur sur le plan de leur relèvement économique ou de l’amélioration des infrastructures routières et sociales mais ne comprennent pas non plus que tout leur environnement et celui leurs générations futures sont mis en danger par leur petite action. On exploite les humains pour qu’ils détruisent leur écosystème au profit d’une poignée de personnes qui devraient pourtant être les premiers à faire de la conservation leur priorité », poursuit Eric Mikalano.

Les services étatiques ne sont pas épargnés en tant qu’acteurs dans la destruction de ce Parc. En effet, lorsque l’État manque à ses obligations de protéger sa population ou l’environnement, il est coupable au regard de la loi congolaise.

Pourtant dans le cas d’espèce, l’État a failli à sa mission en perdant le contrôle d’une bonne partie couvrant le Parc National de Kahuzi-Biega qui est restée entre les mains des groupes armés et autres personnes qui exploitent ses ressources.

Parallèlement, des dizaines de camions transportant la braise, les planches et autres produits issus de la partie du PNKB non contrôlée effectivement par le gouvernement étaient interceptés et les transporteurs tout comme les propriétaires de la cargaison étaient soumis au paiement des amendes ou alors des taxes une fois au point d’écoulement.

Cette attitude contraste avec l’obligation de protéger ; mieux, elle semble encourager la poursuite des activités illicites dans le Parc. Pour ce qui est de l’exploitation minière, plusieurs études démontrent que les ressources minérales issues de ce patrimoine mondial suivent des itinéraires variés avec des acteurs variés. (on y reviendra dans la partie de la chaîne d’approvisionnement).

Venant du PNKB, un endroit où est interdite toute exploitation sauf à des exceptions près, ces substances minérales sont taguées par les services avant d’être évacués soit à Bukavu au Sud-Kivu et à Goma au Nord-Kivu dans des comptoirs et entités de traitement bien connus et identifiés par les services.

Ceci suppose le paiement de tous les frais relatifs à ces activités auprès de l’État congolais et, cela apparaît encore comme une façon d’encourager cette exploitation dans le Parc National de Kahuzi-Biega. Pire encore, lorsque l’on sait que ces sites sont tenus par des hommes armés et que l’on y retrouve des éléments des Forces de Défense et de Sécurité qui s’adonnent également à ces activités contrairement aux textes juridiques qui encadrent le secteur minier en République Démocratique du Congo.

À ce titre, les services étatiques semblent contribuer tacitement à la continuité des activités illicites dans le Parc National de Kahuzi-Biega.

Au chapitre d’autres irrégularités figurent le monnayage de certains services, la tracasserie des services étatiques, la fraude facilitée par certains négociants, la présence de plusieurs coopératives minières dans le milieu, la présence des éléments rebelles des groupes armés dans le milieu et les statistiques dans l’antenne de la division de mines qui sont non conforme à la production dans les sites miniers.

Avec l’arrivée de la guerre en province et l’occupation effective de plusieurs espaces par les troupes de l’AFC/M23, il est aujourd’hui difficile de préciser la destination que prennent les ressources minérales extraites de ce Parc.

Néanmoins, des témoignages concordants des habitants vivant autour du PNKB indiquent que les réseaux d’exploitants ont gardé des contacts étroits. Une bonne partie particulièrement les profondeurs du Parc étant occupés par des groupes Wazalendo et une autre par les troupes de l’AFC/M23, il reste plausible que toute l’action dans ce sens est l’œuvre des hommes porteurs d’armes.

Un champ fertile pour certains opérateurs économiques congolais et étrangers qui connaissent bien la zone et qui, en temps normal, ne pouvaient pas avoir accès à ces ressources mais qui en profitent en continuant à entretenir ces groupes armés, estime encore une fois Eric Mikalano, expert en gouvernance minière et acteur de la société civile dans la province du Sud-Kivu.

« … la guerre est une opportunité pour certains. En tout cas, les anarchistes, les fraudeurs et tous ces opérateurs véreux aiment la guerre. Certains la financent même pour en tirer profit. C’est leur moment de floraison. Et c’est ainsi qu’après cette guerre, si vous revenez dans le Parc pour réaliser une bonne investigation, vous trouverez que ceux qui ont commandité les activités illicites dans le Parc sont ces mêmes personnes anarchistes », indique-t-il.

En clair, les acteurs restent multiples et varient selon les saisons. Les ambitions sur le Parc National de Kahuzi-Biega s’agrandissent du jour au lendemain, plaçant ce dernier dans un état de vulnérabilité permanente face aux efforts de conservation toujours sujets à critiques et aux efforts de restauration moins suffisants.

Une chaine d’approvisionnement variée sujette à la fraude

Le point de départ de l’exploitation des ressources du Parc National de Kahuzi-Biega se situe sur différents marchés formels, informels et saisonniers installés dans les villages aux alentours.

De Lemera, Katasomwa dans le territoire de Kalehe en passant par Kabamba et Katana dans le territoire de Kabare jusqu’aux centres de consommation à savoir la ville de Bukavu, celle de Goma ainsi que Gisenyi au Rwanda en plus d’autres petites entités consommatrices dans les territoires de Kalehe, Kabare et Idjwi.

Avant la guerre, parmi les marchés les plus actifs figure celui de Katoki dans le village de Lemera et d’autres coins installés dans les centres de Numbi et Lumbishi dans le territoire de Kalehe. Ces marchés sont toujours actifs même en pleine guerre, mais faute d’accès sécurisé, il est difficile de quantifier les substances minérales et autres ressources extraites du PNKB qui passent par cette voie.

Il faut néanmoins noter que les points d’évacuation ont été renforcés sur le Lac-Kivu avec l’arrivée de la guerre. Dans le territoire de Kalehe par exemple, le port de Kasheke est présenté comme l’une des principales voies d’évacuation sur Goma et le Rwanda.

Des témoignages des acteurs de la société civile et autres défenseurs des droits humains rapportent des rotations des pirogues motorisées, barges et autres embarcations qui sont régulières avec à bord, des tonnes de planches, braises, grumes d’arbres et autres matières extraites exclusivement du Parc National de Kahuzi-Biega.

« je peux vous rassurer que le port de Kasheke est un véritable couloir ouvert et sans contrôle pour le trafic des ressources du Parc. La situation est quasi similaire sur d’autres quai d’accostage jusqu’à Kalehe-Centre. Je peux vous dire que la plupart de ces embarcations sont tenues par des sujets rwandophones et parfois nous pensons que la destination que prennent ces cargaisons c’est Idjwi ou Goma mais je pense qu’on se trompe. Il faut parfois 3 à 4 jours pour finir le chargement des planches, de la braise et des grumes d’arbres en plus d’autres colis dont nous ignorons le contenu »,

déplace Mr Enock, un para-juriste et défenseur des droits humains dans la zone.

La même situation s’observe dans la partie littorale du PNKB située dans le territoire de Kabare plus précisément dans les groupements de Bugorhe et Irhambi-Katana, indiquent des témoignages concordants des exploitants forestiers, agriculteurs et défenseurs des droits de l’environnement.

« Pour la question de transit, il y a beaucoup à dire. Au début, lorsque l’exploitation a commencé dans la partie comprise entre le village de Mabingu et le village de Kasheke, ils ont érigé un marché au niveau de Lugohwa, un sous-village du village de Mabingu à la limite avec le territoire de Kalehe. A partir de Lugohwa, ils acheminaient les produits au port de Kasheke et au port de Kadjucu-Mukaza. Une fois dans ces ports, certains des produits prenaient la direction de Goma et d’autres des pays voisins principalement le Rwanda »,

explique, sous le sceau de l’anonymat, un acteur de la société civile dans le territoire de Kabare.

Et d’ajouter :

« … quand ils ont fini avec cette partie et comme ils progressaient vers un autre village du groupement d’Irhambi-Katana à savoir Kabushwa, ils ont érigé un nouveau marché qu’ils appelaient TUONANE dans le sous-village de Bulindi, en limite avec le village de Kabushwa. Ici, des milliers de personnes venaient se ravitailler en braises et sticks d’arbres. Un vrai Far West. Des dizaines de véhicules étaient visibles chaque jour chargés pour aller vendre au marché de Bukavu. Ce n’est pas seulement Bukavu. Des dizaines d’autres véhicules transportaient le bois et la braise au port de Kaliba et au port de Kadjucu-Mukaza. Comprenez donc qu’au fur et à mesure qu’ils avançaient dans l’exploitation, il fallait trouver des moyens faciles d’évacuation. C’est ainsi qu’ils ont choisi un nouveau site à savoir le port de Kaliba, situé à quelques kilomètres du centre commercial de Katana non loin de l’Hôpital Général de la FOMULAC-Katana et celui de Mukaza-Kadjucu ».

Ce marché a été l’un des plus florissants car même de gros bateaux commençaient à accoster sur demande des exploitants forestiers avec le bois et la braise comme principale marchandise à transporter vers des destinations recommandées.

Après avoir exploité des centaines d’hectares sur cette partie du Parc National de Kahuzi-Biega, ces exploitants forestiers ne se sont pas arrêtés sur place. Ils ont du aller plus loin en déplaçant le marché après avoir ciblé une nouvelle zone pour l’exploitation.

« C’est vers Lushesha qu’ils vont installer un nouveau marché finalement car ils devraient attaquer la partie du PNKB située dans le village de Kabushwa toujours dans le groupement d’Irhambi-Katana. Ici, ils ont fait plus ou moins 4 mois d’exploitation et les deux ports précités ont été encore leurs principales voies d’évacuation. Après avoir suffisamment exploité cette partie, voilà qu’ils vont plus loin vers Tshibati dans le village de Kahungu toujours en groupement d’Irhambi-Katana. Le marché de transit a été déplacé et se trouve au niveau de Tshibati non loin du CRNS-Lwiro à l’ancienne résidence du feu Maréchal Mobutu. À partir d’ici, le trafic est intense en passant principalement par le port de Kaliba et subsidiairement celui de Kadjucu-Mukaza avec une forte activité sur la ville de Bukavu »,

témoigne pour sa part un chercheur du Centre en Sciences Naturelles de Lwiro qui travaille également sur la question.

Dans son étude d’avril 2024, le Groupe Thématique Mines et Hydrocarbures du Bureau de Coordination de la société civile avait révélé qu’une bonne partie des minerais de 3T et de l’or exploités artisanalement dans le PNKB prenait la direction du Nord-Kivu et une autre dans la ville de Bukavu. Bien plus, les coopératives minières, souvent mal organisées, ont une grande part dans la fraude observée et la fuite de certaines substances minérales vers des réseaux incontrôlés parfois au profit des étrangers.

Il apparaît donc clairement que la problématique de la chaîne de ravitaillement reste complexe, mais les bénéficiaires se situent à différents niveaux selon les possibilités d’influencer tel ou tel autre niveau de pouvoir ou à percer telle ou telle autre porte pour faire valoir son pouvoir à accéder aux ressources du Parc National de Kahuzi-Biega et ses environs.

L’urgence d’une restauration et une conservation adaptées mais des financements en souffrance

Site de pépinière installée par WCS au site administratif de Thsivanga. Photo Etienne Mulindwa

Depuis des années, des partenaires internationaux ont renforcé leur présence aux côtés du gouvernement congolais pour appuyer les efforts de conservation des écosystèmes particulièrement celui du Parc National de Kahuzi-Biega.

Cela a même abouti à la signature des contrats de partenariat pour la co-gestion de cet espace entre l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature et certaines organisations internationales spécialisées dans le domaine.

Il faut pourtant noter que cela n’a produit que de piètres résultats tant il est demeuré difficile pour le gouvernement congolais d’imposer un contrôle effectif sur son territoire et, dans le cas d’espèce, sur l’espace du PNKB.

Ces contrats de partenariat public-privé sur la protection et la conservation du Parc National de Kahuzi-Biega font d’ailleurs l’objet des critiques acerbes des acteurs de la société civile et des défenseurs de l’environnement dans la province du Sud-Kivu.

« Moi, je doute fort de ces contrats de partenariat. Certes, c’est un patrimoine mondial mais je pense que l’Etat devrait prendre un contrôle effectif de son espace avant de céder une partie de sa souveraineté. Je pense même que ces contrats de partenariat public-privé risquent de créer un précédent fâcheux car certains penseraient que c’est leur truc privé. Je ne doute pas des clauses, mais il faut vraiment réfléchir suffisamment avant de poser de tels actes »,

commente un activiste environnemental.

D’autres critiquent les financements dans ce secteur et estiment qu’une bonne partie n’a pas vraiment réussi à mieux protéger le Parc National de Kahuzi-Biega, voire restaurer les paysages dévastés dans les zones environnantes.

« En ce qui concerne le financement pour la restauration des terres dégradées autour du PNKB et à l’intérieur, je pense qu’il n’y a aucun dans ce sens. Nous avons plutôt vu des trucs allant dans le sens de la conservation mais sans vraiment un grand impact. Or, il faut de grands financements basés sur de vraies recherches pour atteindre une bonne restauration. Des projets sectoriels ne peuvent pas réussir. Il ne faut pas financer de petits projets de plantation d’arbres pour confirmer qu’il y a des programmes de restauration. Il faut plutôt investir dans le durable tout en tenant compte des besoins des peuples autochtones et d’autres populations riveraines. En tout cas, il ne faut pas de projet fantaisiste »,

estime un gestionnaire et propriétaire d’une concession sur lisière du Parc National de Kahuzi-Biega.

Des conséquences se font déjà sentir

Des organisations de la société civile dans le territoire de Kalehe et dans le territoire de Kabare estiment d’ailleurs que les inondations et éboulements meurtriers des dernières années ont été causés par l’exploitation à grande échelle des forêts autour du PNKB.

« … nous crions depuis longtemps pour obtenir de vrais projets pour la restauration des terres dégradées, mais personne ne veut nous entendre. Même avant de vivre la catastrophe de Bushushu et Kalehe, des alertes étaient déjà faites. Aujourd’hui on dirait qu’on attend revivre la même chose pour encore pleurer les morts mais sans agir pour des solutions durables »,

déplore Martin Kasole, acteur de la société civile dans le territoire de Kalehe.

Un peu plus loin dans le territoire de Kabare, ce sont des chercheurs qui alertent sur des inondations imminentes qui s’annoncent déjà dans une bonne partie des groupements d’Irhambi-Katana et Bugorhe.

En effet, des dizaines de collines qui jadis n’étaient que des forêts denses avec une forte protection du sol contre les inondations et les éboulements, sont comparables à des terrains de football. Des populations ont procédé à la déforestation sans penser à une quelconque alternative.

Cela fait qu’à ce jour, des champs des paisibles populations qui vivent essentiellement de l’agriculture sont régulièrement dévastés par les eaux de ruissellement, les rivières quittent leurs lits pour menacer les habitations et les différents centres comme Katana et Kavumu, respectivement 45Km et 30Km au nord de Bukavu sont de plus en plus vulnérables aux catastrophes naturelles.

Dans une étude réalisée par le Programme des Nations Unies pour le Développement au sujet de la catastrophe survenue à Kalehe en date du 4 Mai 2023, il est clairement indiqué que le besoin pour le relèvement est de 70 millions de dollars américains et cela pour une période de 7 ans. Parmi les axes retenus par ce plan figure un volet pour la prévention des catastrophes.

En effet, 958 maisons avaient été détruites en plus de 16 structures éducatives touchées ainsi que des champs, des micros centrales, des structures de santé, des Églises, des petites et moyennes entreprises ainsi que d’autres infrastructures d’utilité publique comme les routes à en croire ce plan de relèvement.

Et dans une étude réalisée par un consortium par l’Université Officielle de Bukavu et le Centre des Recherches en Sciences Naturelles de Lwiro sur l’événement déclencheur des glissements de terrain et des crues à Bushushu et Kalehe, il a été conclu que ces sites restent des zones à risque évalué à 65%.

Rendue publique en Août 2023, l’étude avait alors préconisé les cultures qui peuvent s’adapter en abandonnant celles qui peuvent conduire à un tel drame ainsi que la restauration de la végétation.

Deux ans après, ces entités sont restées presque fantômes et l’exploitation poursuit son bonhomme de chemin. Si les habitants ont respecté, pour la plupart, de quitter ces sites sur ordre des autorités, il faut noter que le gouvernement n’a initié aucune activité de relèvement et/ou restauration.

Les collines sont restées nues dans les hauteurs comme sur le littoral. Bien plus, les abords des rivières qui avaient connu des crues sont toujours non couverts par la végétation dans cette région où le relief est particulièrement montagneux.

Il n’est pas impossible de revivre de telles situations à n’importe quel moment, nous a déclaré un défenseur des droits humains qui a palpé du doigt, du début à la fin, les événements du 4 mai 2023 à Bushushu et à Nyamukubi, ont alerté les acteurs de la société civile.

D’autres conséquences se font aussi sentir sur le plan climatique notamment avec le début de la saison culturale A qui commence avec les premières pluies en fin du mois d’août. Des experts agricoles et de petits agriculteurs parlent des perturbations des saisons et croient savoir que cette déforestation serait également l’une des conséquences.

« … d’habitude, nous avons les premières pluies au début du mois de septembre de chaque année voire à partir du 25 août mais aujourd’hui, il y a de très grands changements. Nous pouvons parler des perturbations les deux dernières années mais que nous n’avons jamais vécues. Même si ce n’est pas encore certifié par les experts scientifiques, nous pouvons déjà le dire. Cette année par exemple, nous avons eu de fortes pluies aux mois de juin et juillet, ce qui n’est pas une habitude. A contrario, on a eu une sécheresse en fin août et tout le mois de septembre pourtant c’est supposé être la période de semi pour nos petits agriculteurs »,

explique Kala, un ingénieur agronome qui accompagne les petits agriculteurs à Kabare et Kalehe.

Pour ce qui est des conséquences sur le plan écologique, des chercheurs évoquent la disparition de plusieurs espèces dans les villages déjà dévastés autour du Parc National de Kahuzi-Biega, une situation qui risque de demeurer irréversible si rien n’est fait.

« … plusieurs espèces animales ont carrément disparu. Auparavant, tu pouvais arriver vers Kabushwa, en tout cas pas loin du centre de Katana, dans des sous-villages comme Nkenje, Mutundu, Chizenga et plusieurs autres tout au long du Parc, on apercevait des chimpanzés, babouins, des singes et autres juste en passant mais aujourd’hui, c’est tout le contraire. Des singes venaient même chercher à manger dans des champs voisins. A l’époque, on les chassait tout simplement car l’esprit de braconnage était loin de nous. Mais aujourd’hui, même apercevoir un oiseau relève d’un miracle car aucun arbre n’est encore visible dans la zone. Des centaines d’espèces animales ont disparu notamment avec la pratique des feux de brousse que nous observons chaque saison »,

expliquent des habitants de la zone dans des entretiens nous accordés.

17 rivières tirent leurs sources dans le PNKB

Un expert en hydraulique rurale, en eau, hygiène et assainissement indique également plusieurs conséquences sur le plan des ressources aquatiques et la réduction des débits de plusieurs rivières qui prennent leur source au sein du Parc National de Kahuzi-Biega.

« Vous savez, il y a par exemple la rivière Lwiru qui prend sa source dans le PNKB. Aujourd’hui, elle est en train de sécher. Le débit a vraiment baissé. Chaque année entre octobre et décembre, la rivière était en crue, mais aujourd’hui c’est tout le contraire. Aujourd’hui, cette rivière ne couvre même pas la petite moitié de son lit. Bien d’autres rivières comme Chiranyobwa, Nyabaronkwa au même titre que toute l’eau consommée au centre de Katana, à Kabamba ou encore une autre partie de Kalehe, tout cela vient du PNKB mais le débit a vraiment baissé. Je ne sais pas si tout le monde comprend la complexité du problème »,

indique Achille, un expert en hydraulique rurale, eau, hygiène et assainissement.

Entre perdre complètement le PNKB et le choix des méthodes de conservation plus profitables à l’essor de l’économie locale

A ce stade, il apparait nécessaire de se poser une question.

« Entre l’exploitation et la conservation, qu’est-ce qui paie mieux ?

La réponse à ce questionnement renvoi aux différents acteurs impliqués, d’un côté dans la protection et la conservation de ce Parc, et de l’autre à ceux impliqués dans sa destruction directement tout comme indirectement.

Comme susdit, les raisons économiques, le faible accès aux opportunités d’épanouissement économique et sociale, l’incapacité du gouvernement à contrôler son espace territorial, la corruption, les frustrations provoquées par des méthodes de conservation de plus en plus répressives et un semblant de faire participer les populations locales sont parmi les facteurs qui ont provoqué une forte ruée vers le Parc Nationale de Kahuzi-Biega.

Des observateurs, activistes environnementaux, chercheurs et défenseurs des droits humains estiment néanmoins que c’est encore possible de récupérer quelque chose, conserver les ressources encore existantes mais aussi restaurer les terres Dévastées. Tous restent unanimes sur le fait que l’Etat doit arriver à garder un contrôle effectif sur son espace territorial avec notamment la compréhension des enjeux liés à la conservation, la maîtrise des effectifs engagés pour cet exercice ainsi que leurs agissements pour atteindre la mission.

« Je ne sais pas comment l’Etat va réussir à récupérer les espaces du PNKB déjà occupés par des particuliers. C’est le préalable. Il faut arriver à faire le zonage de la partie déjà déboisée et ensuite se rassurer qu’il y a une sécurité vraiment bien assurée. Il faut une sécurité proportionnée face à la menace. Il n’est pas nécessaire de minimiser. J’ai l’impression qu’il n’est plus temps de compter sur la bonne foi des communautés. Il faut imposer le respect de l’environnement. Certes qu’on ne peut pas chaque fois faire usage de la force mais il faut désormais combiner les deux : la force et la sensibilisation »,

estime Théo, gestionnaire d’un domaine privé proche du Parc National de Kahuzi-Biega.

Le contrôle suppose également la redéfinition des méthodes de conservation et la dépolitisation du processus.

« … nous avons parfois l’impression que certains sont nommés à l’Institut National pour la Conservation de la Nature juste pour poursuivre l’œuvre de la destruction. Il n’est pas normal qu’une autorité se complaise à dénoncer comme un simple citoyen pourtant elle est investie de pouvoir pour agir. C’est ainsi que nous ne pouvons pas nous empêcher de penser à une complicité dans le chef de certains gestionnaires de ce Parc car ils sont au courant de tout ce qui se passe mais aucune politique audacieuse n’est envisagée pour y mettre fin »,

s’indigne un autre activiste environnemental qui a préféré gardé l’anonymat.

 « il faut arriver à arrêter l’hémorragie en cours dans le Parc, c’est le préalable. Cela passe par l’élimination de tous les groupes armés qui ont pris cette aire protégée comme leur camp d’entrainement. Cela passe aussi par l’identification et la neutralisation de tous les réseaux qui financent ces groupes armés. Si trois ou quatre personnes sont arrêtées et jugées en raison de leur soutien à ces groupes armés, cela sera un signal fort pour mettre fin à cette mafia car la force de ces éléments vient de l’extérieur »,

conseille, pour sa part, Eric Mikalano, expert en gouvernance minière et acteur de la société civile dans la province du Sud-Kivu.

Mais pour arriver à conserver le peu qui reste, en plus de garder un contrôle effectif sur son espace territorial, l’Etat doit penser à des méthodes de conservation qui seront bénéfiques autant pour le Parc National de Kahuzi-Biega que pour les populations locales sur le plan économique.

« il est nécessaire de fournir des alternatives économiques aux populations vivant autour du PNKB. C’est par exemple accorder des financements aux organisations locales engagées dans la protection et la conservation mais aussi bien exploiter la question d’octroi des terres et/ou de délocalisation des peuples autochtones pygmées. Il faut également arriver à financer les organisations qui ont développé d’autres sources d’énergie à part la braise ou le courant électrique »,

à en croire Akilimali, un jeune entrepreneur dans la ville de Bukavu.

« il faut arriver à faire en sorte que l’exploitation du Parc ne soit plus considérée comme seule alternative pour la survie des peuples autochtones autant pour tous les acteurs impliqués. Que la conservation soit perçue désormais comme l’alternative pour la survie. Et cela passe par des réflexions approfondies et non partisanes afin de faire bénéficier à tous des financements liés à la conservation », conseille une fois de plus Eric Mikalano.

En plus des efforts de conservation, d’autres acteurs proposent des programmes pluriannuels de restauration des terres dégradées toujours avec l’implication des communautés locales.

« … une fois que l’Etat aura réussi à récupérer ses espaces, lorsqu’il aura fini à faire le zonage et s’assurer d’avoir un vrai contrôle sur son espace, alors ce sera le moment pour de grands projets de restauration. Il faudra arriver à mettre en place des méga pépinières. Ces méga pépinières doivent contenir de grandes espèces existant dans le Parc National de Kahuzi-Biega. Je sais qu’avec des recherches déjà réalisées, il est possible de le faire puis replanter ces espèces et ainsi réaliser une bonne restauration des terres dégradées… »,

explique une fois de de plus Theo, agronome et gestionnaire d’un domaine privé proche du Parc National de Kahuzi-Biega.

« Le PNKB a de l’avenir. Il faut juste apprendre des erreurs du passé et de réadapter la stratégie. Le problème de pauvreté étant une des raisons, il est possible d’essayer une restauration des paysages basée sur les chaines de valeur agricole durable. Il faut aussi se servir des connaissances traditionnelles des PA et des communautés riveraines. Ils ont à offrir. Il faut une protection de la biodiversité basée sur l’homme. Sans l’homme, il est impossible toute conservation »,

conseille Justin Murhula, journaliste environnemental et expert en économie de l’environnement et des ressources naturelles.

Toujours au sujet de la restauration des terres dégradées, des organisations de la société civile recommandent l’élargissement des financements en considérant tous les espaces jusqu’à 50 km du Parc National de Kahuzi-Biega, le soutien aux concessionnaires voisins, aux peuples autochtones, aux communautés voisines et même aux agriculteurs locaux.

« … les communautés locales sont pointées du doigt dans ces actes de destruction du Parc mais il faut se poser la question de savoir ce qu’elles gagnent dans sa conservation. Voilà pourquoi nous proposons de grands projets qui vont prendre en compte la communication dans son vrai sens mais aussi la pratique sur le terrain qui consiste au soutien dans la restauration des terres dégradées même chez les petits paysans. Ainsi, il faut arriver à faire en sorte que chaque paysan ait au moins 25 arbres dans des champs qu’il exploite. La sensibilisation ne suffira pas pour y arriver, il faut aussi une action collective. Les concessionnaires doivent aussi le comprendre et suivre la même tendance. Il faut arriver à imposer la conservation mais de manière intelligente pas forcément par la guerre. Donc, la première question consiste à endiguer la violence dans et autour du PNKB puis penser les méthodes qui rassurent les uns et les autres »,

explique Binja Janvier, secrétaire exécutif de l’Union pour la Solidarité Fraternelle, une organisation de la société civile qui évolue dans la zone.

Pour cette organisation, l’action est urgente est nécessite une participation plus active afin de sauver ce qui peut l’être.

La protection de la nature passe avant tout et il ne serait pas indiqué de poursuivre l’entreprise visant à ouvrir la voie à l’exploitation coûte que coûte des ressources du Parc National de Kahuzi-Biega car cela constituerait un précédent pour d’autres réserves naturelles convoitées.

Pour l’USF, il est même possible de penser à des stratégies visant à reconvertir les braconniers bien connus en acteurs de conservation. C’est par exemple en les utilisant comme garde parcs avec un recours aux stratégies de conservation qui privilégient la participation communautaire en intégrant de nouvelles approches de communication et de sensibilisation des masses destinées particulièrement aux plus jeunes afin qu’ils comprennent ce que représente le Parc National de Kahuzi-Biega et l’intérêt qu’ils ont à le sauvegarder.