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Vue panoramique de Bukavu, 2004.
Consolidation de la paix

Sud-Kivu: A la découverte de Amca-Bukavu

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Changer les choses en partant d’en bas. C’est le défi quotidien qui engage Mr. Constantin Charhondagwa, Chef d’avenue à Bukavu, au Sud-Kivu, en République Démocratique du Congo, et fondateur de l’Association AMCA-Bukavu,

Qu’est-ce l’Association Amca-Bukavu ?

Amca-Bukavu (Association Mutuelle des Chefs d’Avenue de Bukavu, sigle qui sonne en swahili comme : « Réveille-toi, Bukavu ») est une corporation qui réunit tous les chefs d’avenue et tous les chefs d’avenue adjoints de la ville de Bukavu. Nous avons vu le jour le 13 juin 2018, avec comme objectifs l’entraide et la protection mutuelle, l’échange d’information et la formation, donc la capacitation des cadres de base.

Toute innovation crée des frustrations : certains ne comprennent pas qu’on puisse innover et s’évertuent à combattre nos instances de cette innovation. Mais la corporation évolue et nous avons élaboré deux projets. Le premier, c’est un Plan pour la sécurisation et le développement de la ville de Bukavu. Lorsque nous leur avons soumis ce projet, les autorités l’ont envoyé aux services de sécurité et nous avons eu avec eux des séances de travail. Ils ont apprécié le projet ; le ministre de l’Intérieur l’a transmis au Conseil des ministres : c’était en 2020, et jusqu’aujourd’hui nous ne savons pas ce qu’ils en ont fait.

L’autre projet, que nous sommes en train de chercher à implémenter, est intitulé : « Innover pour transformer la gouvernance locale à Bukavu », c’est-à dire la Mairie, les trois communes, les quartiers, jusqu’aux avenues. Beaucoup de choses peuvent être améliorées au niveau local et cela aurait un impact dans toute la Province du Sud-Kivu et même dans le pays tout entier.

Par quels moyens faites-vous cela ?

Nous manquons de partenaire, que cela soit du côté de nos gouvernants, que des partenaires externes : nous travaillons par nos propres efforts. Or, nous, chefs d’avenue, travaillons bénévolement, ne gagnons aucune rémunération. Il y en a qui touchent dans le budget de leur famille pour acheter du papier, faire des photocopies ou saisir des documents…

Est-ce que le travail du chef d’avenue lui demande du temps ou bien c’est une charge symbolique ?

Le chef d’avenue travaille 24h sur 24h : quand quelque chose se passe dans l’avenue, la première personne qu’on interpelle c’est le chef d’avenue. Si le choses ne marchent pas, on l’interpelle, autrement on ignore qu’il est là. L’administration de la ville de Bukavu est comme une maison : la fondation, c’est les chefs des 403 avenues, avec leurs adjoints : ils sont au milieu de la population ; les murs, ce sont les chefs des 20 quartiers, avec leur adjoint ; la charpente, ce sont les 3 bourgmestres et leurs adjoints ; et la toiture, c’est le maire de la ville avec son adjoint. Les chefs d’avenue avec leurs adjoints, cela fait 806 personnes disséminées sur toute l’étendue de la ville, mais mal utilisés : or, si les autorités voulaient vraiment développer et sécuriser la ville, ils devraient se baser sur eux.

 

Selon la connaissance rapprochée que vous avez de la ville, quels sont les grands maux dont elle souffre ?

Franchement, j’ai l’impression que nos autorités travaillent comme des mercenaires : personne n’a une planification correcte pour le développement de la ville, et l’argent qui rentre dans les caisses rentre dans les poches des individus. On parle de « budget participatif » mais il n’en est pas ainsi. J’étais rapporteur dans le budget participatif d’une commune de la ville : on a demandé à chaque quartier d’organiser des forums pour déterminer les priorités, qu’ils ont partagées lors de l’Assemblée générale de la Commune. Là, on a trié l’essentiel et toute la participation s’est arrêtée là-bas. Ce n’est ainsi qu’on fait un budget participatif !

Comme nous disons dans le projet « Innover pour transformer la gouvernance locale dans la ville de Bukavu », il faut un partenariat entre les gouvernants et les communautés, c’est-à-dire les quartiers, les avenues, les gens qui partagent le même intérêt : étudiants, jeunes, commerçants, etc. Ensemble on peut organiser un atelier où planifier avec l’autorité les actions à mener dans la communauté et on demande l’apport de chaque catégorie.

Prenez le cas de la route délabrée qui est ici devant nous : ce n’est pas le gouvernement national ou provincial qui doit la réhabiliter : un bourgmestre peut le faire. S’il appelait les habitants de l’avenue, après avoir identifié les valeurs y existant : des commerçants, des ingénieurs, des jeunes, des femmes…, et il leur dit : « Je n’ai pas assez de moyens pour réhabiliter cette route. Que pouvons-nous faire ? ». Des commerçants peuvent dire :

« Nous amenons dix, vingt bennes de pierres ». Un ingénieur peut dire : « J’amène mon expertise », et les jeunes : « Nous amenons la main d’œuvre » … C’est ainsi que la Commune pourrait réhabiliter la route même avec peu de moyens.

Mais nos autorités ne comprennent pas cela ; pire, quand quelqu’un donne des suggestions aux autorités, celles-ci commencent à faire des analyses : qu’est-ce qu’il veut ? qui l’a envoyé ? de quel parti politique est-il ? On ne considère pas la valeur des idées : ce que beaucoup de nos autorités veulent ce n’est que ramasser les taxes. Voilà le mal, qui nous empêche de nous développer.

C’est ainsi qu’on continue à voir des victimes des éboulements à chaque grande pluie…

Qui délivre les documents pour construire, ce sont les services de l’Etat. Les autorités connaissent les agents qui délivrent ces documents mais ne les sanctionnent pas. Quand je travaillais à la Caritas internationale, il y avait eu des morts à cause des éboulements sur la colline de Kajuju. Pourtant, lorsqu’on avait commencé à la déboiser pour construire, la Caritas avait demandé l’autorisation de la reboiser, pour qu’on n’y construise pas, mais ils ne l’ont pas eue : les autorités avaient trouvé une source de revenus en vendant des parcelles sur cette colline. Nous qui disons franchement et ouvertement des vérités comme celles-ci, nous ne sommes pas bien vus.

Un autre défi ce sont les déchets de la ville…

C’est aussi de la mauvaise gouvernance. Où est-ce qu’on a vu une ville sans dépotoirs ? Or, les autorités ont vendu tous les espaces verts où il y avait des dépotoirs. Et ce n’est pas tout… On avait créé des associations-bidon pour ramasser les immondices moyennant une rémunération par la population : elles appartenaient à des membres de famille de certaines autorités et n’avaient ni véhicule ni personnel. Les immondices restaient amassées quelque part sur la route. Au quartier Nyamugo, il y a une dame chef de quartier, qui, avec ses chefs d’avenue a pris l’initiative :

« Nous-mêmes nous allons le faire ! ».

Avec mille francs (0,5 $) par semaine par ménage, ils louaient le camion, ils payaient les jeunes pour ramasser les immondices et ils allaient jeter cela : le quartier était devenu très propre.

Une autorité l’a menacée :

« Ce n’est pas votre travail ! Il faut le laisser à telle association, avec laquelle j’ai un contrat ! ». Elle a laissé et à Nyamugo aujourd’hui la saleté est stockée partout, comme dans toute la ville.

Si on laisse à chacun de faire ce qu’il veut c’est le désordre : l’Etat a été créé pour donner une ligne de conduite aux gens, pour récompenser pour le bien et punir pour le mal. Or, nous manquons d’un Etat qui encadre les gens. Le peuple d’ici suivrait facilement les ordres des autorités, mais ces ordres ils ne les ont pas.

Un jour je suis allé dire à une autorité :

« Faites un effort pour combattre le lavage des véhicules sur des chaussées ».

Par exemple, à la source Kadurhu, où puise presque toute la population des environs. Mais les motards viennent avec leurs motos et les lavent là-bas, à telle enseigne que les femmes et les enfants qui n’ont même plus accès à l’eau.

L’autorité m’a répondu :

« Mon cher, il n’y a même pas de chaussées dans la ville de Bukavu, comment les empêcher ? ». Or c’est lui-même, l’autorité qui devrait amener les chaussés.

Sur la route qu’on appelle Route Industrielle, le tas de containers entassés est source d’insécurité la nuit : les bandits se cachent derrière pour agresser les passants. Après de nombreux rapports, j’ai même amené sur place le ministre de l’Environnement.

« On va les enlever ! Vous allez voir ! », s’est-il exclamé et il a ajouté à l’adresse des chauffeurs : « Enlevez cela d’ici ! Je donne une semaine ! ».

Cela fait déjà plus de trois mois. Les chauffeurs m’ont dit :

« Chef – ils m’appellent chef -, votre ministre où est-il parti ? Si nous nous cotisons et nous allons le voir, croyez-vous qu’il viendra encore nous déranger ? ».

Dans sa mentalité, la population sait que l’autorité est corruptible et qu’elle pourrait commettre n’importe quelle anomalie : il suffit de donner un peu d’argent et le problème est classé.

Devant cette situation, beaucoup de Congolais pensent qu’il n’y a pas de remède et qu’il ne reste que chercher son propre bonheur personnel … Qu’est-ce qui vous pousse à continuer à lutter et à espérer ?

C’est inné en moi. Dans ma jeunesse, même à l’école, j’étais toujours dans le comité qui défendait les droits des autres ; dans le travail j’étais délégué syndical. Voir les injustices cela me révolte. Dieu a donné des potentialités à chaque personne. J’ai encore la foi : je crois qu’on peut améliorer. C’est pourquoi je suis allé me cramponner au niveau des chefs d’avenue, croyant que à partir de là, de cet échelon le plus bas… si on arrivait à solidifier cela, et à conscientiser ce niveau-là, cela peut donner de l’impulsion aux échelons supérieurs.

Interview du Réseau Paix pour le Congo

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