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Consolidation de la paix

Défendre les droits humains, un impératif (interview)

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Eric Muvomo est Congolais, habite avec sa famille dans un village de la Plaine de la Ruzizi, au Sud-Kivu, à l’Est de la République Démocratique du Congo. Dans cette interview donnée en juillet dernier à une journaliste italienne, il témoigne de la force et du courage des défenseurs des droits humains, hommes et femmes, dont nombreux ont même rencontré la mort violente, à cause de leur engagement.

Pouvez-vous nous parler de votre travail pour les droits humains ?

Katogota est un village qui a connu le 14 mai 2000 le massacre gratuit d’environ 375 personnes. A cette époque-là nous collaborions déjà avec feu Pascal Kabungulu, grand défenseur des droits humains. Cette tragédie nous a poussé à créer, début 2001 l’Association contre le Mal et pour l’Encadrement de la Jeunesse (ACMEJ). Jusqu’à présent nous continuons à sensibiliser les personnes au respect et à la défense des droits humains.

Les mamans aussi dès le début ont répondu positivement à cette sensibilisation et se sont engagées. A présent à Katogota deux mamans sont engagées pour les droits humains, il y en a à Luvungi et ailleurs dans la Plaine et même sur les moyens et hauts plateaux. Elles sont avec nous et nous avec elles : nous essayons de les appuyer même concrètement grâce à notre partenaire suisse Michel Hoffman de l’Association « Vivere », et d’autres associations, comme « Agir ensemble ».

Du point de vue politique, nous n’acceptons pas que le Congo soit divisé. Depuis que nous avons commencé ce combat, personne n’a pu le diviser, même s’il y a des politiciens qui cherchent à le faire. Nous voulons être un seul pays, un seul peuple : il n’y a pas le gens de Kinshasa, les gens du Kasaï, les gens de l’Est : nous sommes tous le peuple congolais.

Votre village de Katogota est proche de deux frontières : qu’est-ce que cela comporte ?

Oui, nous sommes à la limite avec le Burundi et le Rwanda. Katogota est gardé par très peu de militaires ; il y a des hommes armés qui traversent la rivière Ruzizi discrètement et montent vers les moyens et hauts plateaux. L’armée burundaise est dans les moyens et hauts plateaux (elle est même visible dans cité de Kiliba) et y combat les rebelles burundais Red Tabara.

Les gens ne sont pas informés sur les raisons de cette présence et en subissent les conséquences : insécurité, déplacements massifs, abandon de la maison et de l’école, impossibilité de cultiver, famine…. Nous cherchons à signaler cela, parce que notre pays ne doit pas être un champ de bataille : s’ils veulent se combattre, qu’ils le fassent chez eux.

Vous travaillez à la réconciliation entre personnes des différentes ethnies. Comment ?

Depuis les temps anciens, nous vivions bien entre Banyamulenge (tutsi originaires du Rwanda), Barundi, Bafuliru, Batwa (Pygmées) : les guerres ont créé des fractures mais nous devons encore chercher à vivre ensemble dans l’entente, comme nos grands-parents ont vécu. Nous essayons des nous aimer tous comme enfants de la même terre, la Plaine de la Ruzizi, sans suivre les pensées divisionnistes de certains politiciens.

Mutarule est un village symbole de ce processus. Il y a des Banyamulenge, des Barundi, des Bafulero et des Batwa. Pour construire un parcours de réconciliation, nous avons fait une session : il y avait Akili BIGAYA, des Bafuliru (qui mourra dans le massacre de 2014), Claude Mirundi, des Barundi, Toto Tengeneza des Batwa, et Runyambo des Banyamulenge. Nous avions échangé et décidé de bâtir un bureau commun dans le village pour assurer la paix. Dans la nuit du 6 juin 2014, Mutarule connut le massacre de 37 personnes, suite à des conflits de pouvoir.

Nous avons continué le travail de réconciliation, en les appelant tous, pour échanger ensemble. Un groupement féminin, « Juhudi » (engagement), a pris naissance : là, les mamans des différentes ethnies se rencontrent, échangent, collaborent et disent qu’elles ne souhaitent autre chose que de vivre réconciliées. Grace à l’aide de « Vivere », elles ont pu commencer un petit élevage et trouver un champ commun où travailler ensemble, projet de poule pondeuse, projet de petit commerce à crédit et épargne …etc. Actuellement dans le village il y a le calme, Cela nous donne courage

Concernant les massacres, dont Katogota même a été victime, que pensez-vous : faut-il oublier ou en chercher les auteurs ?

Nous avons lutté pour qu’on arrive à la vérité à Mutarule et on a condamné un militaire. A Katogota, jusqu’à présent, personne n’a pas encore fait d’enquête sur ce massacre, fait par le mouvement rebelle RCD (Rassemblement Congolais pour la Démocratie) / Goma. Il faut que la justice internationale recherche les auteurs des massacres qu’a connu la RDCongo – à Katogota, Kasika, Makobola, etc. – dans les années de guerre : 1996-2003, pour qu’ils répondent de leurs actes. Nous espérons arriver un jour à la vérité et à la justice.

Trouvez-vous bien que les jeunes de chez vous sachent ce qui s’est passé ?

Oui ! Nous leur en parlons, pour qu’ils connaissent l’histoire et sachent ce qui s’est passé, ceux que nous avons perdus. C’est pourquoi chaque année, à l’occasion de l’anniversaire, nous faisons des cérémonies de mémoire, de réflexion, de prière, pour aider les habitants de Katogota, de la Plaine et de toute notre Province.

Notre but n’est pas la vengeance. La plupart des hommes armés qui ont fait le massacre étaient des Banyamulenge : mais nous ne pouvons pas nous venger contre les Banyamulenge d’aujourd’hui. Nous voulons seulement affirmer la vérité, la justice et le droit. Que ceux qui continuent à faire du mal à l’Est du pays sachent qu’un jour ils devront en répondre.

Dans ces vingt ans de combat non violent pour les droits humains, y a-t-il eu quelqu’un qui y a laissé la vie ?

Beaucoup parmi nous ont déjà perdu leur vie à cause de leur engagement pour des droits humains. A Mutarule nous avons perdu Akili Bigaya et Aimable Masumbuko : ils étaient engagés dans la réconciliation des quatre tribus vivant dans ce village. A Rubanga nous avons perdu TOTO Kaligito ; à Lubarika, Kabamba Mirindi : tous ont été tués.

A Mubere, sur les hauts plateaux de Lemera, nous avons perdu maman Furaha. Mère de sept enfants, elle avait cinquante-deux ans. En collaboration avec nous, elle avait commencé un groupe de femmes pour la défense des droits humains, des mamans et des habitants en général, pour combattre et dénoncer les injustices. En mai 2023, des rebelles armés Mayi-Mayi sont entrés dans sa maison, l’ont amenée dans la brousse et puis tuée par couteau. Le lendemain matin, les mamans du village ont fait une manifestation, en allant de Mubere jusqu’à la Chefferie de Lemera, où elles ont manifesté leur détresse au Mwami, le chef traditionnel, en lui disant qu’elles continueront son engagement : « Nous ne pouvons pas nous taire. Nous continuerons la lutte, nous continuerons à dénoncer, pour que le monde sache ». En effet, le rebelles avaient pensé qu’en la tuant, le groupe disparaitrait, mais jusqu’à présent elles continuent leur engagement.

Leurs enfants en sont fiers et disent qu’un jour ils continueront l’engagement de leurs pères. Mes enfants aussi disent de même. Nous cherchons la vérité sur ces assassinats, pour qu’un jour les auteurs puissent répondre de leur crime.

Comment avez-vous commencé ?

Pascal Kabungulu, d’« Héritiers de la Justice », m’avait dit : « Je n’ai personne. Donne-moi un coup de main ». Nous avons travaillé longuement ensemble. Jusqu’à présent il est mon point de référence car c’est lui qui m’a appris ce travail. Que son âme repose en paix. Il a été assassiné à cause de son engagement. Il avait participé à une réunion au Rwanda ; rentré à Bukavu, on l’a tué. Ils croyaient que les Congolais ne continueraient pas à travailler pour la justice, mais nous sommes là aujourd’hui et, si nous mourons, d’autres continueront. Après le massacre qu’a subi mon village, j’ai pris contact avec feu Pascal Kabungulu et nous avons intéressé d’autres personnes qui ont accepté d’entrer dans l’Association ACMEJ. L’un d’eux, mon vice, Simon Buloze, est actuellement en Australie et continue à collaborer avec nous.

Quel but avez-vous donné à l’association ?

Nous venions de vivre le massacre de mai 2000 et nous nous sommes dit : « Nous ne pouvons pas nous taire : un jour ils répondront de leurs actes ». En ce moment-là dans la Plaine de la Ruzizi il y avait plein de groupes armés et nous avons vu qu’il fallait plaider pour les droits des habitants. Jusqu’à présent nous continuons avec l’espoir d’être un jour entendus. L’Association est connue, nos plaintes sont parfois entendues. Chaque année, la population fait mémoire du massacre de mai 2000 et nous encourage à continuer.

Avez-vous vu des fruits à votre travail ?

Au début, des politiciens ne participaient pas à nos commémorations, à présent, certains participent et partagent notre objectif de vérité et de justice. A certains endroits, tels que Katogota, Luvungi, Sange, etc., les gens ont accueilli la conscientisation sur les droits humains, les abus ont diminué et les gens commencent à s’aimer. Cela nous encourage. Toutefois, ce qui a créé problème, comme je viens de le dire, ce sont les combats violents sur les moyens et hauts plateaux entre l’armée burundaise et leurs rebelles Red Tabara.

Pour faciliter l’entente et diminuer les conflits interethniques, nous nous efforçons de dire aux autorités de l’Etat, représentées dans la Plaine de la Ruzizi par la Chefferie, qu’elles donnent un nouveau statut à certaines entités, pour que l’autorité soit élue et non pas héréditaire.

Qu’est-ce que vous vous attendez du reste du monde ?

Nous leur demandons de nous appuyer. De même que pour le Rwanda,la Communauté internationale a créé le Tribunal d’Arusha pour juger des crimes de génocide, de guerre et contre l’humanité faits en 1994, peut-être nous aussi, habitants de Katogota et des autres villages martyrs, nous pourrons avoir un tribunal sur ces crimes. C’est notre espoir : que les auteurs répondent de leurs actes ; en les sanctionnant, ceux qui pourraient avoir l’intention d’en faire ne les feront plus. Celui qui a fait en premier l’enquête est le feu père Curé Gianni Pedrotti : nous ne pouvons jamais l’oublier, même dans nos prières

Pourquoi vous faites un tel travail tout en sachant que c’est risquant ?

D’abord parce que dans le massacre de Katogota nous avons perdu des gens ; ensuite, il faut enseigner aux gens à vivre dans la paix, dans l’amour en abandonnant la guerre, les armes, la violence, l’illégalité, en respectant les droits des autres, et que les autres respectent les nôtres. Petit à petit, chacun comprend qu’il peut défendre les droits des autres, et c’est ça l’essentiel. Mon épouse, mes enfants savent que c’est un travail difficile, sans salaire, mais ils m’encouragent à continuer, ils croient qu’un jour on verra des fruits.

Est-ce que votre foi y est pour quelque chose ?

Je suis catholique, mon père était « mwongozi », diacre : la foi aussi me pousse à plaider pour les droits humains. Autre chose qui m’a aidé c’est la collaboration avec vous. Nous vous connaissons par nom dans notre famille et je suis content que mon fils soit venu vous rencontrer aujourd’hui : cela lui donnera courage et demain il continuera à aider les Congolais, les villageois.

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