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Consolidation de la paix

Kabare: Solidarité, l’arme de Mbobero

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Bukavu, le 20 juillet 2022

Mbobero est un lieu d’injustice et de souffrance, où, à partir de janvier 2016, environ 2500 personnes ont été déguerpies violemment de leurs maisons, qui ont été démolies, et privées de leurs champs, parce qu’un grand puissant prétend d’avoir tout acheté. Six ans après, malgré d’énormes souffrances et des morts, malgré qu’aucune autorité locale ni aucun organisme international ne les ait secourus, la population est encore debout. Leur secret ? La solidarité. Nous leur avons demandé de nous en parler.

Comment s’est manifestée la solidarité de vos voisins du village ?

Mbobero, 2020. Souffrir et espérer ensemble
Mbobero, 2020. Souffrir et espérer ensemble

Joseph Zahinda, Président du Comité des victimes des démolitions de maisons et spoliation de terres
Dieu fait ses merveilles et ses secrets sont inconnaissables : nous vivons encore jusqu’aujourd’hui… Ceux qui nous ont accueillis chez eux nous ont demandé d’essayer de nous adapter à manger des feuilles de patates douces (matembele) : c’est tout ce qu’ils pouvaient nous donner. Eux-mêmes étaient pauvres et en plus ne pouvaient plus venir travailler dans nos champs. Ainsi, ils nous ont permis de cueillir ces feuilles, qu’auparavant ils vendaient au marché. Ensuite les mamans déplacées ont planté elles-mêmes les patates et nous les arrosions. Ces feuilles ont nourri nos enfants pendant au moins une année. Nous nous nous demandions : est-ce qu’on peut vivre en mangeant simplement des feuilles ? Or, personne n’est mort et aucun de nos enfants n’était mal nutri, sauf quelques-uns.
Deuxièmement, ceux qui avaient deux chambres ont accepté de nous en donner une, gratuitement, et
cela dure depuis six ans pour certains, depuis quatre pour d’autres… Dans mon cas, après avoir été ainsi accueilli, le Seigneur m’a aidé et j’ai pu recevoir d’une famille un morceau de terre, où, grâce aussi à l’aide reçue, j’ai bâti une maisonnette.

Avez-vous été aidés aussi par d’autres personnes en dehors du village ?

Solidarité du doyenné de Kabare (1)
Solidarité du doyenné de Kabare

Mr. Joseph Zahinda
Comme c’étaient des autorités du pays qui nous ont chassés en détruisant nos maisons et en saisissant nos champs, elles ont politisé l’affaire, en ne permettant pas au PAM ou au CICR de nous aider ; et nous n’avons rien reçu même des autorités locales. Et ils ont même trompé des autorités de l’Eglise, en leur montrant qu’ils nous donnaient 8 ha et 80.000$, des miettes pour une population de 2.500 personnes : nous avons refusé. Le 2 août 2019 tout le doyenné de Kabare, les paroisses de Kadutu et de Bagira, même Caritas sont venus nous amener des habits, des casseroles, de la nourriture. Le 5 juin 2022, des membres de la NDSCI ont distribué de la farine, du riz et des habits aux familles des soixante-six enfants orphelins du village. C’était pour nous un signe que Dieu n’oublie pas les orphelins.

Du point de vue du plaidoyer, nous ne pouvons ne pas demander à Dieu d’ajouter force à la NDSCI (Nouvelle Dynamique de la Société Civile) de Bukavu et aux Avocats de Tournons la Page et de leur donner la sagesse pour nous accompagner jusqu’à la fin : ce sont les seules organisations qui ont solidarisé avec nous dans nos souffrances.

Du côté du matériel nécessaire, aucun habitant de Mbobero, aucune victime ne peut fournir ne fut-ce qu’une tôle. L’aide extérieure – fruit du travail de simples gens qui ont compati avec nous – nous a permis de résister jusqu’à présent. Il est dur de manquer d’une maison : si tu as une maison, même si tu manques de nourriture, tu pourras dormir et le froid ne te dérangera pas trop. C’est pourquoi nous ne pouvons pas oublier le bien que nos amis lointains nous ont fait.

Entre vous, comment l’unité, la solidarité s’est manifestée ?

Mbobero, 1.12.2020. Population dans l'attente des résultats du remesurage (1)
Mbobero, 1.12.2020. Population dans l’attente des résultats du remesurage

Joseph Zahinda

Tout d’abord dans le fait de se mettre ensemble, sans discrimination : les victimes se sont assises   ensemble ; si quelqu’un recevait une assiette de farine d’un membre de famille voisin, il la partageait avec les autres ; si quelqu’un recevait un morceau de terre, tous les autres venaient l’aider à bâtir, et dans la maison achevée deux ou trois familles venaient habiter.
Nous avions décidé de nous cotiser 2.000 FC (1 $), en vue de commencer un micro-crédit et nous étions parvenus à mettre à coté 300.000 FC. Le 27 octobre 2021, quand les forces de l’ordre sont venues ligoter notre trésorier et chasser tout le monde de l’enclos, elles ont emporté même cet argent.
Grace à la solidarité de personnes lointaines, maintenant un bon groupe de mamans a reçu un petit
crédit et grâce à leurs contributions d’autres le recevront après.

Toute démarche se fait avec notre contribution. Même Mr. Cikoroti, qui manque d’une jambe et qui,
après les expropriations, vit de mendicité, donne sa contribution. Un jour il nous a donné 10 $ :

« Quelqu’un m’ai aidé et moi aussi j’aiderai vous tous, afin qu’ensemble nous allions de l’avant ».

Mr. Baguma Kameme Matthieu, porte-parole du Comité Si quelqu’un parmi nous trouve un petit travail, il appelle un autre ; s’l reçoit une patate il la partage… Nous nous connaissons entre nous : chacun connait le caractère de l’autre et sa manière de penser. Certains parmi nous, dépassées par les problèmes, ont la tête troublée et peuvent nous insulter, même frapper… Mais nous laissons tomber, nous supportons tout, parce que nous les comprenons.

Lire aussi:  Mbobero : Meurtris, nous continuons notre lutte (Interview)

La solidarité entre nous s’est aussi montrée dans la transmission des informations : une information même petite circulait rapidement entre les victimes et cela nous a aidés. Même quand nous nous réunissons en assemblée, même si nous ne faisons pas passer le communiqué à la radio ou par les médias, toutes les familles et les communautés sont vite informées. Si quelqu’un a voyagé, en rentrant il passe chez le président ou quelqu’un du Comité pour demander des nouvelles. Si quelqu’un a eu un
problème, immédiatement nous sommes informés, et nous intervenons comme nous pouvons.

Sans cette union, notre dossier se serait terminé depuis longtemps.

Lire aussi:  Sud-Kivu : 5 ans d’impunité à Mbobero

L’excès de souffrance a fait grandir la solidarité qui existait. Nous avons vécu ensemble tant d’années,
en nous habituant les uns aux autres, en nous comprenant. Même celui qui n’a pas eu la maison détruite
il était habitué à aller dans le champ d’un autre et à y trouver ses feuilles de manioc ; on ne lui a pas
détruit la maison, mais celui à qui on l’a détruite est son frère, son ami. Quand ce malheur est tombé sur
nous, nous avons compris qu’il concernait la communauté toute entière.

Y a-t-il des tentations à vaincre pour garder cette unité entre vous ?

Mr. Joseph Zahinda
L’argent était l’arme de ceux qui nous ont ravi nos biens : si nous restons peu nombreux, c’est un
avantage pour eux. Trente-neuf familles ont accepté 2.000 $ chacune pour nous quitter. Elles ont acheté de petites parcelles et ont construit une petite maison. Mais jusqu’à présent leur vie est comme la nôtre : ils n’ont pas où cultiver et leurs enfants vivent comme les nôtres, leurs difficultés sont les nôtres : ils sont redevenus comme nous et ont demandé de recevoir les 40$ que nous avons donnés comme micro-crédit.
Mr. Cikoroti a refusé la somme de 10.000$, parce que c’est une honte pour un Président de la République de s’être emparé des biens d’un handicapé.

Mais Cikoroti en disant :

« Moi et ces frères nous mourrons ensemble ».

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Comment vous comportez-vous vis-à-vis de ceux qui ont cédé à la corruption ?

Mr. Joseph Zahinda
Nous sommes tous ensemble. Nous les avons appelés aux Assembllées comme les autres déplacés.
Eux-mêmes commencent à voir que ce qu’ils ont fait est mauvais et nous ne pouvons pas les maltraiter : nous laissons que la vie et le temps leur apprennent. Si nous les maltraitions, c’est nous-
mêmes que nous maltraiterions. Le Seigneur a dit :

« A moi la rétribution, à moi la vengeance », Mr. Baguma Kameme

Ils n’ont pas supporté l’excès de souffrance et nous ont quittés en pensant pouvoir bien vivre, mais leur
vie s’est affaiblie plus qu’auparavant ; ils ont eu honte et sont allés vivre dans l’isolément. Nous ne
pouvons pas les juger. Jusqu’à présent, nous nous rencontrons avec eux, nous partageons avec eux, ils
participent à nos Assemblées, car ils sont nos frères. Ce qui leur est arrivé pourrait arriver à d’autres,
c’est une grave tentation. Notre adversaire à beaucoup d’argents et peut corrompre beaucoup de monde,
mais nous continuons afin qu’il se dise :

« Même si j’ai de l’argent, ces gens ont la solidarité ».

Est-ce que vos différentes appartenances de foi ont été un obstacle à votre unité ?

Mr. Baguma Kameme
Ce qui a donné cette force d’avancer ensemble est notre foi commune en Dieu. Dieu est unique et tout
celui qui prie a la confiance de prier Dieu. Dieu, qui accepte que nous soyons encore là aujourd’hui, est
digne de gloire et c’est pour cela que nous le citons souvent. Dieu est notre dénominateur commun, et
les différentes appartenances : musulmans, protestants, catholiques… – n’ont pas d’importance pour
nous.

Lire aussi: Sud-Kivu : Mbobero, le rêve et le combat continuent

Nous nous rencontrons à cause de notre problème commun et nous sommes ensemble :
musulmans, protestants, catholiques, néo-apostoliques et d’autres groupes religieux. Nous sommes
devenus un seul homme. Quand nous avons commencé notre comité, nous avons cherché à ce que
chaque couche sociale et religion se retrouve dans le Comité. Dans nos assemblées, chacun peut
exprimer sa prière.

Deux maisons pour les familles sans abri

Mr. Karubandika Zihalirwa, trésorier du Comité des victimes
Quand en octobre 2021 avec toutes les familles habitant dans l’enclos que Mr. Kabila prétend sien, nous avons été agressés, pillés et chassés, un vieux papa de Mbobero a mis notre disposition un petit chantier dans sa parcelle. Nous nous y sommes abrité pendant quelques mois : moi, ma femme et nos neuf enfants, et huit autres membres de famille.
Même si nous sommes des déplacés, nous ne pouvons pas laisser de prier Dieu : c’est lui qui aide en toute chose et il faut le mettre devant.

Un jour, quand nos amis de la prière sont venus chez nous vers 20h00 et nous avons commencé à prier, ce papa n’a pas apprécié.

Je lui ai expliqué :

« Si je n’étais pas un homme qui prie Dieu, je serais mort dans l’enclos. Vu que Dieu garde encore moi et ma famille, qu’ils ont maltraité le corps mais n’ont pas touché à l’esprit, nous voulons continuer à nous confier à Dieu ».

Notre hôte nous a donné la date-boutoir du 30 juin pour quitter. Nous lui sommes en tout cas
reconnaissants. Nous avions reçu d’autres personnes un espace et, à l’aide de tous, nous avons bâti. Entre-temps, un homme est venu nous offrir une deuxième parcelle en disant :

« A l’aide de Dieu, vous pouvez installer des sticks et des tôles et vous abriter ici, gratuitement ».

Il nous a donné un document témoignant que la parcelle est donnée au Comité des victimes. Des notables de la ville nous et des amies et amis lointains ont contribué pour l’achat du matériel.
Nous y avons mis notre travail : parmi les victimes il y avait des maçons, des charpentiers… On a
aplani l’espace, creusé des trous pour y enfoncer les sticks et enfin on a fixé les tôles sur le toit. Quand
cette maison sera prête, j’y entrerai avec mon épouse et nos enfants, ainsi qu’une autre famille de ma
parenté. Je le vois, le Seigneur prend soin de nous, des orphelins.
Le notable de la ville qui nous a aidés appartient à une nouvelle petite Eglise ; il nous a encouragés :

« Jésus combattra pour vous. Jamais le Seigneur ne peut se tromper, il réalisera ses promesses ».

 

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